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LIVRE PREMIER.

en calomnie contre la nature, et en découragement pour les autres. De là cette nouvelle académie qui soutint ex professo le dogme de l’acatalepsie, et condamna ainsi le genre humain à des ténèbres éternelles. De là aussi cette opinion que la découverte des formes ou des vraies différences des choses (qui ne sont au fond que les lois de l’acte pur) est absolument impossible. De là encore ces opinions reçues dans la partie pratique des sciences, que la chaleur du soleil et celle du feu artificiel sont de natures essentiellement différentes, ce qui tend à ôter aux hommes tout espoir de pouvoir exécuter, par le moyen du feu artificiel, rien de semblable à ce qu’opère la nature. De là enfin cet autre préjugé, que la seule espèce d’œuvre qui soit au pouvoir de l’homme, c’est la composition, mais que la mixtion ne peut être l’œuvre que de la seule nature C’est ainsi qu’on parle ordinairement, de peur apparemment que les hommes ne se flattent de pouvoir, par les seules ressources de l’art, opérer la génération ou la transformation des corps naturels. Ainsi les hommes, une fois bien avertis par ce signe, souffriront sans peine qu’on leur conseille de ne point commettre leur fortune ni leurs entreprises avec des opinions non-seulement désespérantes, mais qui semblent même vouées pour jamais au désespoir.

LXXVI. Un signe que nous ne devons pas non plus oublier, c’est cette perpétuelle mésintelligence et diversité d’opinions qui régnait entre les anciens philosophes, soit d’individu à individu, soit d’école à école, diversité qui montre assez que la route qui devait conduire des sens à l’entendement n’avait pas été trop bien tracée, puisque cette matière propre de la philosophie, je veux dire la nature même des choses, s’était ainsi comme ramifiée et partagée en tant d’erreurs différentes. Et quoique de nos jours ces dissensions et ces diversités d’opinions sur les principes mêmes et sur le corps entier de la philosophie soient pour la plupart éteintes, néanmoins il reste encore une infinité de questions et de controverses sur les parties de la philosophie. Il est donc hors de doute qu’on ne trouve rien de certain et de solide soit dans le fond même des philosophies, soit dans la forme des démonstrations.

LXXVII. Quant à ce que pensent certaines personnes que la cause de cette approbation si universelle dont paraît jouir depuis tant d’années la philosophie d’Aristote, c’est que, dès qu’elle eut paru, toutes les autres tombèrent en désuétude et disparurent, que, dans les siècles suivants, n’ayant pu rien découvrir de meilleur, on s’en tint a celle-la, en sorte qu’elle a eu pour elle et les anciens et les modernes, cette assertion ne doit pas nous arrêter