Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/51

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du genre humain. Eh ! en peut-il être autrement dans un temps où l’on voit les hommes s’attacher avec une ardeur puérile à je ne sais quelles entreprises petites et mesquines, et, ce qui est pis encore, s’imaginer, quand ils y réussissent, avoir poursuivi ou atteint quelque chose de vraiment grand ?

LXXXIX. Mais ce qu’il ne faut pas non plus oublier, c’est que la philosophie naturelle, dans tous les temps, a eu en tête un adversaire fort tracassier et fort pointilleux. Cet ennemi, c’est la superstition, c’est le zele aveugle et immodéré pour la religion. Car nous voyons d’abord que, chez les Grecs, ceux qui les premiers se hasardèrent à assigner les causes naturelles de la foudre et des tempêtes furent, sous ce prétexte, accusés d’impiété et d’irrévérence envers les dieux ; et nous voyons aussi que les premiers pères de l’Église ne firent pas un meilleur accueil à ceux qui, d’après des démonstrations très-certaines et qu’aucun homme de sens n’oserait combattre aujourd’hui, soutenaient que la terre est de figure sphérique, et qu’en conséquence il doit y avoir des antipodes.

Nous pouvons même dire que de nos jours on s’expose plus que jamais en avançant de telles assertions sur la nature. La faute en est aux sommes et aux méthodes des théologiens scolastiques, qui ont assez bien rédigé la théologie (eu égard du moins à ce qu’ils pouvaient en ce genre), l’ayant réunie en un seul corps et réduite en art ; d’où il est résulté que la philosophie contentieuse et épineuse d’Arislote s’est mêlée beaucoup plus qu’il n’aurait fallu au corps de la religion. Il est un autre genre d’ouvrages tendant au même but, mais par une autre voie ; ce sont les dissertations de ceux qui n’ont pas craint de déduire des principes et des autorités des philosophes la vérité de la religion chrétienne, et qui ont prétendu, en l’appuyant sur une telle base, lui donner plus de solidité, célébrant avec autant de pompe et de solennité qu’un mariage légitime l’union illicite de la foi et des sens, chatouillant les esprits par l’agréable variété des matières ou des expressions, et alliant toutefois les choses divines avec les choses humaines, deux sortes de sujets peu faits pour se trouver ensemble dans un même ouvrage. Or, observez que, dans tous ces écrits où l’on mêle la théologie avec la philosophie, on ne fait entrer que ce qui appartient à la philosophie reçue depuis long-temps. Quant aux découvertes nouvelles et aux améliorations, non-seulement on les en exclut, mais même on les en bannit expressément. Enfin, vous reconnaîtrez que l’impéritie de certains théologiens a presque entièrement fermé l’accès à toute philosophie, même