Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/53

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des écoles, des académies, des collèges et autres établissements de ce genre destinés a la cullure des sciences, et où les savans vivent rassemblés, les leçons et les exercices sont disposés de manière que ce serait un grand hasard s’il venait en tête a quelqu’un de méditer sur un sujet nouveau. Si tel d’entre eux a le courage d’user sur ce point de toute la liberté de son jugement, ce fardeau qu’il s’imposera, il le portera seul, qu’il ne s’attende a aucun secours de la part de ceux avec qui il vit. Que s’il résiste au dégoût que doit naturellement lui inspirer un tel isolement, qu’il sache encore que cette activité et ce courage ne seront pas un léger obstacle à sa fortune dans cette sorte d’etablissement. Toutes les études sont resserrées dans les écrits de certains auteurs, tous les esprits y sont comme emprisonnés, et ces auteurs classiques, si quelqu’un ose s’écarter un peu de leurs opinions, à l’instant tous s’elevent contre lui, c’est un homme turbulent, un novateur, un brouillon. Il est pourtant une différence infime entre les arts et les affaires publiques. Une révolution politique et une lumiere nouvelle ne font pas, à beaucoup près, courir les memes risques, car si, dans l’état politique, un changement, même en mieux, ne laisse pas d’inquiéter, c’est à cause des troubles qu’il excite ordinairement, vu que le gouvernement repose principalement sur l’autorité, sur l’assentiment public, sur la renommée et I’opinion, au lieu que dans les sciences et les arts, ainsi que dans les mines d’où l’on tire les métaux, tout doit retentir du bruit que font les travailleurs. Du moins, ce serait ainsi que les choses iraient, pour peu qu’on suivît les principes de la droite raison, mais, dans la réalité, il s’en faut beaucoup qu’elles marchent ainsi, l’effet ordinaire de cette administration et de ce gouvernement des sciences, dont il est ici question, étant d’en arrêter plus fortement tous les progrès.

XCI Mais quand cette jalousie qui arrête leurs accroissements viendrait a s’éteindre, n’est-ce pas encore assez que tout effort et toute industrie en ce genre demeurent sans récompense ' car malheureusement la faculté d’avancer les sciences et le prix qui leur est dû ne se trouvent pas dans les memes mains. Les talents nécessaires pour leur faire faire de rapides progrès sont le lot des grands genies, mais le prix et les émoluments sont au pouvoir du peuple ou des grands, c’est-à-dire de gens dont les lumières sont rarement au-dessus du mediocre. Non-seulement de tels progrès demeurent sans récompense, mais même ceux qui les font ne sont rien moins qu’assures de l’estime publique. Des ventes neuves et grandes sont au-dessus de l’intelligence du commun des hommes, et trop aisément renversées, éteintes par le vent des opinions vul-