Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
LIVRE PREMIER.

curer un entendement de suffisantes informations et de donner une base à la philosophie. Ces deux sortes d’histoires, déjà si différentes à une infinité d’autres égards, différent encore en ce point, que la première se borne à une simple description des diverses espèces de corps qu’offre la nature, et ne dit rien de ce grand nombre d’expériences que fournissent les arts mécaniques. Dans les relations ordinaires d’homme à homme, la plus sûre méthode pour découvrir le naturel et les secrets sentiments de chaque individu est de l’observer dans les moments de trouble et de vive émotion. Il en est de même des mystères de la nature, elle laisse plus aisément échapper son secret lorsqu’elle est tourmentée et comme torturée par l’art que lorsqu’on l’abandonne à son cours ordinaire, la laissant dans toute sa liberté. Quand l’histoire naturelle, qui est la base et le fondement de l’édifice, sera plus ample et d’un meilleur choix, ce sera alors seulement qu’on pourra espérer beaucoup de la philosophie naturelle, sans une telle collection, toute espérance serait vaine.

XCIX. Dans la collection de faits qu’on a tirée des arts mécaniques et qui semble si riche, nous découvrons, nous, une grande pauvreté par rapport a cette sorte de faits qui peuvent procurer à l’entendement les meilleures informations. L’artisan ne se soucie guere de la recherche de la vente, il ne tend son esprit et n’etend la main que sur ce qui peut. Un être de quelque service dans sa profession. Le seul temps ou l’espérance de voir les sciences avancer à grands pas pourra passer pour bien fondée, sera celui l’on aura l’attention de joindre et d’agréger à l’histoire naturelle une infinité d’expériences qui, bien que n’étant par elles-mêmes d’aucun usage, ne laissent pas d’êtres nécessaires pour la découverte des causes et des axiomes, expériences que nous qualifions ordinairement de lumineuses, pour les distinguer de celles que nous désignons par le nom de fructueuses, car une propriété admirable qui caractérise celles de la première espèce, c’est de ne jamais tromper l’attente. En effet, comme ce n’est pas pour exécuter telle opération qu’on en fait usage, mais pour découvrir la cause naturelle de tel phénomène, le résultat, quel qu’il puisse être, menait toujours un but, puisqu’il satisfait à la question et la termine.

C. Or ce n’est pas assez de rassembler un plus grand nombre d’expériences, et de les choisir avec plus de soin qu’on ne l’a fait jusqu’ici, il faut encore suivre une tout autre méthode, un tout autre ordre, une tout autre marche pour continuer ces observations et les multiplier. Car l’expérience vague, et qui n’a d’autre guide qu’elle-même, n’est qu’un pur tâtonnement, et sert plutôt à