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NOUVEL ORGANUM

étonner les hommes qu’à les éclairer, mais lorsqu’elle ne marchera plus qu’à la lumière d’une méthode sûre et fixe, par degrés et pour ainsi dire pas à pas, ce sera alors véritablement qu’on pourra esperer de faire d’utiles découvertes.

CI. Quand les matériaux d’une histoire naturelle expérimentale, et telle que l’exige la fonction propre à l’entendement, ou, si l’on veut, au philosophe, quand, dis-je, de tels matériaux auront été rassemblés et seront sous notre main, il ne faudra pas pour cela permettre à l’entendement de travailler sur cette matière en vertu de son mouvement spontané en un mot, de mémoire, car ce serait vouloir, par la seule puissance de la mémoire, égaler et surpasser tous les nombres d’un livre d’éphémérides. Cependant jusqu’ici, dans l’invention, on a toujours fait jouer un plus grand rôle à la simple méditation qu’à l’écriture, et l’on n’a point encore fait d’expérience lettrée. Mais la seule invention qui doive être approuvée, c’est l’invention par écrit, et cette dernière méthode une fois passée en usage, espérons tout de l’expérience enfin devenue lettrée.

CII. De plus, comme les détails et les faits particuliers forment une multitude innombrable, que ces faits, epars et répandus sur un grand espace, partagent excessivement l’attention, causent à l’esprit une sorte de tiraillement en tous sens, et le jettent dans la confusion, on aura tout à craindre de ses écarts, de sa légèreté naturelle et de sa disposition à voltiger, à moins que, par le moyen de tables d’invention d’un bon choix, d’une judicieuse distribution, et comme vivantes, on ne sache assembler et coordonner tous les faits appartenant au sujet de la recherche dont on s’occupe, et qu’ensuite on n’applique l’esprit à ces tables ainsi préparées et digérées, qui sont destinées à lui prêter secours.

CIII. Mais, quand la masse des faits aura été en quelque manière mise sous nos yeux avec l’ordre et la méthode convenables, gardons-nous encore de passer tout d’un coup à la recherche des causes, ou, si nous le faisons, de nous trop reposer sur ce premier résultat. Nul doute, à la vérité, que si les expériences nées de tous les arts, puis rassemblées et rédigées comme nous venons de le dire, étaient mises sous les yeux mêmes d’un homme seul et soumises à son jugement, il ne pût, par la simple translation de ces expériences d’un art dans l’autre, faire par ce moyen une infinité de découvertes avantageuses et de présents utiles à la vie humaine, surtout à l’aide de la méthode expérimentale que nous désignons par le nom d’expérience lettrées. Cependant on ne doit pas trop faire fonds sur cette ressource, mais esperer beaucoup plus de cette lumière nouvelle qui jaillira des axiomes extraits des faits particu-