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NOUVEL ORGANUM

clusions précaires, et qui court les plus grands risques de la part du premier exemple contradictoire qui peut se présenter ; en général, elle prononce d’après un trop petit nombre de faits, et seulement de cette sorte de faits qu’on rencontre à chaque instant. Mais l’induction vraiment utile dans l’invention ou la démonstration des sciences et des arts fait un choix parmi les observations et les expériences ; dégageant de la masse, par des exclusions et des rejections convenables, les faits non concluants ; puis ; après avoir établi un nombre suffisant de propositions, elle s’arrête enfin aux affirmatives et s’en tient à ces dernières. Or, c’est ce qui n’a point encore été fait ni même tenté ; si ce n’est peut-être par le seul Platon, qui, pour analyser et vérifier les définitions et les idées, emploie jusqu’à un certain point cette induction. Mais pour qu’on tire de cette dernière forme d’induction ou de démonstration une science bonne et légitime, nous serons obligé de recourir à beaucoup de moyens dont aucun mortel ne s’est encore avisé ; en sorte qu’elle exige encore plus de peine et de soins qu’on n’en a pris relativement au syllogisme. Or, cette même induction, ce n’est pas seulement pour découvrir ou démontrer les axiomes qu’il faut y avoir recours, mais encore pour déterminer les notions ; et c’est assurément sur cette induction que se fondent nos plus grandes espérances.

CVI. Dans la confection d’un axiome, à l’aide de cette induction, il est une sorte d’examen, d’épreuve à laquelle il faut le soumettre ; il faut voir, dis-je, si cet axiome qu’on établit est bien ajusté à la mesure des faits dont il est tiré, s’il n’a pas plus d’ampleur et de latitude ; et au cas qu’il déborde en effet cette masse de faits, il faut voir s’il ne serait pas en état de justifier cet excès d’étendue en indiquant de nouveaux faits qui seraient comme une garantie, une caution de ce surplus ; et cela pour ne pas rester uniquement attaché à des choses inutiles ; puis de peur que, voulant saisir trop de choses à la fois, nous n’embrassions que des formes abstraites, c’est-à-dire que des ombres, et non des choses solides, réelles et déterminées. Lorsqu’on se sera suffisamment familiarisé avec cette méthode, alors enfin un puissant motif de plus fondera nos espérances.

CVII. Il est nécessaire de résumer et de rappeler aussi en ce lieu ce que nous avons dit plus haut sur la nécessité d’étendre la philosophie naturelle aux sciences particulières, et réciproquement de ramener ces dernières à la philosophie naturelle ; afin que le corps des sciences ne soit point mutilé, et qu’il ne se forme entre elles aucun schisme : sans ces rapprochements et cette liaison, il y a beaucoup moins de progrès à espérer.