Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/81

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comme trois degrés d’ambition dans les âmes humaines. Au dernier rang on peut mettre ceux qui ne sont jaloux que d’étendre leur propre puissance dans leur patrie, genre d’ambition qui a quelque chose d’ignoble et de bas. Un peu au-dessus sont ceux qui aspirent a étendre l’empire et la puissance de leur patrie sur les autres nations, ce qui dénote plus de noblesse, mais non plus de désintéressement. Mais s’il se trouve un mortel qui n’ait d’autre ambition que celle d’étendre l’empire et la puissance du genre humain tout entier sur l’immensité des choses, cette ambition (si toutefois on doit lui donner ce nom) est plus pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres, or l’empire de l’homme sur les choses n’a d’autre base que les arts et les sciences, car on ne peut commander à la nature qu’en lui obéissant. Et ce n’est pas tout, si l’utilité de telle invention particulière a bien pu exciter l’admiration et la reconnaissance des hommes au point de regarder tout mortel qui a pu bien mériter du genre humain par quelque découverte de cette nature comme un être supérieur à l’humanité, quelle plus haute idée n’auront-ils pas de celui qui aura inventé un moyen qui rend toutes les autres inventions plus promptes et plus faciles ! Cependant, s’il faut dire la vérité tout entière, de même que, malgré les continuelles obligations que nous avons à la lumière, sans laquelle nous ne pourrions ni diriger notre marche, ni exercer les différents arts, ni même nous distinguer les uns des autres, néanmoins la simple vision de la lumière est quelque chose de plus beau et de plus grand que toutes les utilités que nous en tirons, il est également hors de doute que la simple contemplation des choses, vues précisément telles qu’elles sont, sans aucune teinte de superstition ni d’imposture, sans erreur et sans confusion, a en soi plus de grandeur et de dignité que tout le fruit réel des inventions.

Enfin, si l’on nous objectait la dépravation des arts et des sciences, par exemple, cette multitude de moyens qu’ils fournissent au luxe et à la malignité humaine, cette objection ne devrait point nous ébranler, car on en pourrait dire autant de tous les biens de ce monde, tels que le génie, le courage, la force, la beauté, les richesses et la lumière même. Laissons le genre humain recouvrer ses droits sur la nature, droits dont l’a doué la munificence divine et qui, a ce titre, lui sont bien acquis, mettons-le à même de le faire en lui rendant sa puissance, et alors la droite raison, la vraie religion lui apprendront à en faire un bon usage.

CXXX. Mais il est temps d’exposer l’art même d’interpréter la