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BLAISE PASCAL

aujourd’huy, et qui ne seront peut estre pas demain, et qui d’ailleurs sont si peu capables de se rendre heureuses, s’attachassent ainsi les unes aux autres, nous voyons que c’estoit afin qu’elles s’attachassent uniquement à Dieu ; et en effet c’est là l’ordre, et on n’en peut juger autrement quand on y fait une attention serieuse, et que l’on veut suivre la veritable lumiere. C’est pourquoy il ne faut pas s’estonner que celuy qui estoit si esclairé et qui avoit le cœur si bien ordonné, se fust proposé ces regles si justes, et qu’il les pratiquast si regulierement.

Ce n’estoit pas seulement à l’egard de ce premier principe qui est le fondement de la morale chrestienne ; mais il avoit un si grand zele pour l’ordre de Dieu dans toutes les autres choses qui en sont les suites, qu’il ne pouvoit souffrir qu’elle[1] fust violée en quoy que ce soit ; c’est ce qui le rendoit si ardent pour le service du roy, qu’il resistoit à tout le monde dans le temps des troubles de Paris, et toujours depuis il appelloit des prétextes toutes les raisons qu’on donnoit pour autoriser la rébellion ; et il disait qu’en Estat establi en Republique comme Venise[2], c’estoit un grand mal de contribuer à y mettre un Roy et opprimer la liberté des peuples à qui Dieu l’a donnée ;

  1. Madame Perier emploie le mot ordre au féminin comme on faisait au xviie siècle et comme on faisait encore au xviie pour les « saintes ordres », au sens de sacrement (voir Littré). C’est cet usage qui a donné occasion à la leçon de l’imprimé : « Il avoit un si grand zele pour la gloire de Dieu… »
  2. L’exemple de Venise n’est-il pas un souvenir de Montaigne, et Pascal, après Descartes, n’avait-il pas médité l’Essai XXVII du livre I, où Montaigne parle de la Boëtie : « et scay davantage que s’il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu’à Sarlac, et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souverainement empreinte en son ame, d’obeyr el de se soubmettre tres religieusement aux loix sous lesquelles il estoit nay. Il ne feut iamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs… »