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BLAISE PASCAL

que son procez n'estoit pas bon, et qu'en vengeance, elle avoit jetté un sort sur son enfant qu'elle voyoit qu'il aymoit tendrement, et qu'elle estoit bien faschée de le luy dire, mais que le sort estoit à la mort. Mon grand pere affligé luy dit: « Quoy ! il faut donc que mon enfant meure !» Elle luy dit qu'il y avoit du remède, mais qu'il falloit que quelqu'un mourut pour luy, et transporter le sort. Mon grand pere luy dit : « Ho ! j'aime mieux que mon fils meure, que de faire mourir une autre personne. » Elle luy dit : « on peut mettre le sort sur une beste. » Mon grand pere luy offrit un cheval : elle luy dit que, sans faire de si grands frais, un chat lui suffisoit. Il luy en fit donner un ; elle l'emporta et en descendant elle trouva deux capucins qui montoient pour consoler ma grand'mere de l'extrémité de la maladie de cet enfant. Ces pères luy dirent qu'elle vouloit encore faire quelque sortilège de ce chat : elle le prit et le jeta par une fenestre, d'où il ne tomba que de la hauteur de six pieds et tomba mort ; elle en redemanda un autre que mon grand pere luy fit donner. La grande tendresse qu'il avoit pour cet enfant fit qu'il ne fit pas d'attention que tout cela ne valoit rien, puisqu'il falloit, pour transporter ce sort, faire une nouvelle invocation au Diable ; jamais cette pensée ne luy vint dans l'esprit, elle ne luy vint que longtemps aprez, et il se repentit d'avoir donné lieu à cela.
Le soir la femme vint et dit à mon grand pere qu'elle avoit besoin d'avoir un enfant qui n'eut pas sept ans, et qui, avant le lever du soleil, cueillit neuf feuilles de trois sortes d'herbes : c'est-à-dire trois de chaque sorte. Mon grand pere le dit à son apothicaire, qui dit qu'il y meneroit lui mesme sa fille, ce qu'il fit le lendemain matin. Les trois sortes d'herbes estant cueillies, la femme fit un cataplasme qu'elle porta à sept heures du matin à mon grand