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BIOGRAPHIES

sein que par affection et par tendresse, voyant qu’elle s’affermissoit tous les jours dans sa resolution, luy dit qu’il voyoit bien qu’elle ne vouloit point penser au monde, qu’il approuvoit de tout son cœur ce dessein, et qu’il luy promettoit de ne luy faire jamais aucune proposition d’engagement, aussy avantageux qu’il parust, mais qu’il la prioit de ne le point quitter ; que sa vie ne seroit[1] possible pas encore bien longue et qu’il la prioit d’avoir cette patience ; et cependant qu’il luy donnoit la liberté de vivre comme elle voudroit dans sa maison. Elle le remercia de toutes ces choses, et ne luy fit point de reponse positive sur la priere qu’il luy faisoit de ne le point quitter, se contentant seulement de luy promettre qu’elle ne luy donneroit jamais sujet de se plaindre de sa desobeïssance.

Cecy se passa vers le mois de may 1649 ; mon pere prit resolution en ce tems là de venir en Auvergne et d’y mener mon frere et ma sœur. Elle apprehenda beaucoup ce voyage, à cause de la multitude des parens et des compagnies où l’on est exposé dans les petites villes. Elle m’escrivit sa peine, et me manda que, pour eviter cet embarras où elle se voyoit exposée, elle croyoit qu’il estoit à propos, pour prevenir le monde, que je disse publiquement sa resolution d’estre religieuse, et qu’il n’y avoit que la consideration de mon pere qui la retenoit. Je ne manquay pas de le faire, et cela reussit si bien que, lorsqu’elle fut arrivée, on ne fut point surpris de la voir habillée comme une femme agée dans une grande modestie ; et on ne s’estonna point aussy de ce qu’aprez avoir rendu les premieres visites de civilité, elle se retira non seulement dans la maison, mais dans sa chambre d’où elle ne

  1. L’édit. Victor Cousin : selon toute apparence.