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Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu/80

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64 OEUVRES

j'en eusse besoin puis que j'en estois, ce me semble, bien détachée. — « Dieu vous veut faire veoir par cette espreuve, dit-elle, que vous vous trompez dans cette pensée ; car si cela estoit, vous regarderiez tout cela avec indifférence sans vous en affliger comme vous faites. C'est une grande grâce que Dieu vous fait, profitez en bien. » Elle me dit encore plusieurs autres choses sur la vanité de toute l'af- fection des hommes, en me tenant toujours embrassée avec une grande tendresse jusqu'à ce qu'il fallust la quit- ter pour laisser approcher les autres.

Le lendemain matin, nostre Mère ayant remarqué pendant Prime une tristesse extraordinaire sur mon vi- sage, elle sortit du chœur avant que la messe commen- çast, et m'ayant fait appeler, elle fit tous ses efforts pour donner quelque soulagement à ma douleur. Et parce qu'elle jugea que ce temps estoit trop court pour satis- faire à sa charité [aussy tost après la messe, elle me fit signe de la suivre ; et me faisant mettre auprès d'elle] elle me tint encore prest d'une heure la teste appuyée sur elle, en m'embrassant avec la tendresse d'une vraye Mère, et n'oubliant rien de tout ce qui pouvoit * enchanter mon desplaisir.

Pleut à Dieu que j'eusse assez de liberté d'esprit et de mémoire pour n'avoir rien laissé perdre de cette précieuse liqueur qu'elle s'efforça de faire entrer dans mon cœur pour adoucir l'amertume qu'il ressentoit 1 J'estimerois avoir beaucoup gaigné par mon affliction, et j'ose dire que je vous ferois un '^ présent bien précieux. Mais je n'ay pas eu assez de bonheur ny de capacité. Tout ce que j'ay pa faire, au lieu de tout conserver, comme il eust esté à

��1. Deuxième Recueil Gazier: « charmer ».

2. « rare »,

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