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RELATION DE JACQUELINE PASCAL 79

beaucoup nous en resjouyr d'une véritable joye : c'est nostre plus grand avantage, et nous le devons croire ainsy et agir suivant cela ; autrement en quoy consisteroit nostre desinterressement si nous n'estions dans ce sentiment là? Ce ne serolt donc que des discours et des mines pour nous faire estimer du monde. »

Elle me dit ces paroles avec beaucoup de force, comme doutant en quelque sorte que je fusse capable de les pra- tiquer à la rigueur, et voulant me les imprimer dans le cœur ; puis* se radoucissant, elle me dit en souriant : « Je ne doute point du tout que vous ne soyez dans les mesmes sentimens, et je suis asseurée que si on vous de- mandoit conseil dans une affaire pareille qui regarderoit une personne indifférente, vous seriez bien faschée qu'on en usast autrement qu'on ne fait". Mais cela vous doit faire veoir qu'il vous reste encore bien de l'amour propre et, quoy que vous pensiez, ce n'est proprement ny la Maison ny la justice que vous considérez le plus en cela, mais vous mesme et la peine que vous avez de ce que les choses ne vont pas comme vous les demandez. S'il estoit venu des voleurs cette nuit, qui eussent em- porté nostre argent, en pleureriez vous et vous en affligeriez vous comme vous faites à présent? Il est sans doute cpie non; car encore qu'on soit fasché de ces choses là et qu'on l'empescheroit si on pouvoit, on n'en a pourtant point une véritable affliction : il faudroit estre bien atta- ché au bien. Cependant ce seroit une injustice et un tort qui auroit esté fait à la Maison. Vous veoyez donc bien

1. « comme si elle eût veu ma pensée, elle y respondit aussv tost. »

2. « Et je suis certaine que vous n'en auriez ni déplaisir ni peine contre ces gens là, et que vous ne voudriez pas leur en faire la moin- dre mine ny le moindre reproche ; j'en mettrois la main au feu. »

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