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RELATION DE JACQUELINE PASCAL 83

nous parlions tantost ; et celuy la vous doit estre si pre- tieux;, que si vous aviez deux millions de bien, je vous conseillerois de les donner sans hésiter, pour procurer que la charité ne fut point refroidie. N'en parlez donc plus, et n'y pensez plus. Quand vous les verrez, ne leur en dites rien du tout : s'ils vous en parlent, vous leur direz qu'ils sçavent bien que vous vous estes démise de toutes choses entre leurs mains, et que vous n'y songez plus. »

Sur cela, elle me congédia sans vouloir plus de répli- que, et cette conférence se termina de la sorte. A peu de jours de là, celuy de mes parens qui avoit le plus d'inter- rest en cette affaire arriva en cette ville, je traittay avec luy, autant qu'il me fut possible selon l'intention de nos- tre Mère ; mais je n'eus jamais assez de forces sur moy pour cacher la tristesse où j'estois. Cela m'est si extraor- dinaire qu'il ne fut pas long temps sans s'en appercevoir, et il n'eut pas besoin d'interprète pour en apprendre la cause; et, quoy que je luy fisse le meilleur, visage que je pouvois, il jugea aisément que son procédé m'avoit mis en cet estât. Il voulut d'abord se plaindre le premier, et ce fut alors que j'appris qu'ils se tenoient si offencez du mien ; mais il ne continua gueres, voyant que je ne fai- sois aucune plainte de mon costé, quoy que d'ailleurs je détruisisse par une seule parole toutes leurs raisons, et que je luy déclarasse avec assez de gayeté c'est à dire, au- tant que mon estât me le pouvoit permettre, que, puis que la Maison vouloit bien me faire la charité de me rece- voir gratuitement et que ma profession ne seroit plus différée, je ne serois plus en peine que de la bien faire et d'attirer la grâce dont j'avois besoin pour vivre en vraye professe.

Si tout ce colloque estoit aussy digne d'estre recueilly que le précèdent, j'eusse pris peine à le retenir, et je ne

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