Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/123

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ces prétendues intuitions que des hypothèses incertaines comme le mécanisme de Descartes[1] ; elle se rend prisonnière de ses principes, et les faits de nature lui deviennent incompréhensibles[2]. Concluons donc que la raison ne saurait fournir aux raisonnements de la physique un point de départ authentique et irrécusable. Il faut, pour demeurer raisonnable, qu’elle se soumette à l’expérience : à l’épreuve des faits tombent l’un après l’autre les faux principes que l’homme avait invoqués, et qui se révèlent à l’analyse comme les produits de la coutume ou de l’imagination[3].

Ainsi le rôle de la raison diminue à mesure que nous nous éloignons de l’abstraction pour entrer directement en contact avec la réalité. Quand nous sommes en présence de la vie, quand nous avons à diriger notre conduite, nous faisons encore appel à la raison ; nous réfléchissons, et nous délibérons. Mais notre réflexion et notre délibération ne sauraient enfermer en elles la vérité ; ici encore, si la raison est capable d’enchaîner des propositions par la vertu démonstrative du raisonnement, elle est incapable d’établir les principes qui doivent servir de base à son raisonnement. La raison décide des moyens ; mais le but lui échappe : il s’impose du dehors, et malgré elle[4]. L’homme ne délibère jamais sur la fin ; car cette fin n’est pas ma tière à délibération, elle est ce qui se sent immédiatement, sans art et sans réflexion, elle est le bonheur[5]. Mais au moins la raison peut-elle espérer qu’elle saura

  1. Fr. 78.
  2. Fr. 231.
  3. Fr. 89 et 233.
  4. Fr. 98.
  5. Fr. 425.