Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/142

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d’ériger l’homme en puissance qui se dresserait au regard de Dieu. Toute hérésie a sa source dans l’orgueil : « Le lieu propre à la superbe est la sagesse, car on ne peut accorder à un homme qu’il s’est rendu sage, et qu’il a tort d’être glorieux ; car cela est de justice. Aussi Dieu seul donne la sagesse ; et c’est pourquoi : Qui gloriatur, in Domino glorietur. » Lorsque dans la prière, par laquelle il implore le secours de Dieu, l’homme s’attribue la moindre part de liberté, lorsqu’il est induit à faire un retour sur son propre mérite, il détruit cette vérité fonda mentale de la religion : Dieu « donne la prière à qui il lui plaît »[1]. Il faut que toute notion de mérite ou de démérite propre à la personne morale, toute idée de justice selon l’humanité ait disparu pour que le mystère de la grâce soit accessible : « Pour faire d’un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce ; et qui en doute ne sait ce que c’est que saint et qu’homme[2]. »

La grâce est le renversement de l’humanité ; le premier effet de la grâce est de faire que l’homme se haïsse lui-même. Or, dans l’ordre de la nature, la haine est concevable d’un être vis-à-vis d’un autre être, mais d’un être pour soi elle n’a rigoureusement aucun sens ; car la volonté d’un être est par essence la volonté du bien de cet être. Le christianisme, lorsqu’il commande de se haïr soi même, commande à l’homme de n’être plus homme : il lui interdit non seulement d’être le but de son activité mais d’en être l’origine. Pascal le dit littéralement : « Il est impossible que Dieu soit jamais la un, s’il n’est le principe[3]. » C’est parla que le christianisme s’oppose à la

  1. Fr. 513.
  2. Fr. 508, cf. fr. 490.
  3. Fr. 488.