Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/232

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veilles ; et pour comble, qu’ils aient osé leur attribuer un expédient aussi étrange pour en purifier les hommes, que celui d’envoyer son fils unique sur la terre, et de lui faire souffrir la mort. Mais au moins qu’ils se fassent justice, et que, par le peu d’assurance qu’ils trouvent en eux pour juger les moindres choses, ils se reconnaissent incapables de décider par eux-mêmes si cette transmission du péché où tout consiste, est injuste et impossible ; et qu’enfin ils s’estiment heureux de ce qu’en une chose qui les touche de si près, au lieu d’être à la merci de cette pauvre raison à qui il est si aisé d’imposer, ils n’ont à examiner, pour toutes preuves, que des faits et des histoires, c’est-à-dire des choses pour lesquelles ils ont des principes infaillibles.

Car convenant une fois (comme il n’est pas besoin de le prouver) que s’il y a un Dieu, il ne faut pas tant dire qu’il ne saurait faire ce qui est injuste, comme il faut dire que ce qu’il fait ne saurait être injuste, puisque sa volonté est l’unique règle du bien et du mal, il n’est pas question d’exa miner ce qu’est la chose en soi, mais seulement si ceux qui nous assurent de la part de Dieu qu’elle est, ont de quoi se faire croire. Et il serait inutile de répondre qu’on a des preuves que ces choses-là sont injustes et impossibles, pour montrer qu’elles ne peuvent être, comme on dit qu’on en a qu’elles sont effectivement, pour montrer qu’elles ne sont, ni injustes, ni impossibles. Il ne se peut qu’il y en ait de part et d’autre, et il faut absolument que les uns ou les autres se trompent ; et ce qui les abuse en effet, c’est que les idées que nous avons de ce qui est juste ou injuste, sont étrangement bornées, puisqu’enfin il ne s’agit entre nous que d’une justice d’homme à homme, c’est-à-dire, entre des frères où tous les droits sont égaux et réciproques, et qu’il s’agit ici d’une justice de Créateur à créature, où les droits sont d’une dispro portion infinie. Mais après tout, comme ils n’oseraient se vanter de connaître assez à fond jusqu’où va le pouvoir de Dieu, et ce que c’est que la justice à son égard, pour dire que leurs preuves sont démonstratives, elles ne peuvent être tout au plus que des raisonnements de nature métaphysique, fondés sur des principes inventés par des hommes, et par conséquent suspects ; au lieu que ce qu’on leur donne pour preuves, étant de la nature des faits, c’est-à-dire capables