Aller au contenu

Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cuper de celles qui tourmentent tant la plupart des hommes, que Dieu a voulu qu’elles leur fussent impénétrables ; et que tout ce qu’en ont trouvé les plus habiles, c’est qu’on n’y saurait atteindre, et qu’on s’en passe aisément. Cependant, comme si ceux-ci savaient sûrement d’ailleurs qu’il n’y eût que cela à connaître dans le monde, ils s’y appliquent avec une ardeur infatigable ; et ce peu de succès les pique, au lieu de les rebuter. Ils se laissent là comme des misérables indignes de leurs soins, et abandonnent la recherche de ce qu’ils sont, et de ce qu’ils doivent devenir, pour approfondir ce que les sciences ont de plus vain et de plus caché, sans songer qu’il y a longtemps qu’on en sait assez pour l’usage de la vie, et qu’elle ne vaut pas la peine, s’il y manque quelque chose, qu’on s’amuse à le chercher. Aussi n’est-ce, à dire le vrai, ni la commodité de la vie qui les fait agir, ni l’amour de la vérité, qu’ils aiment rarement à voir trouver par d’autres. La curiosité seule les pousse, et la gloire d’aller plus loin que ceux qui les ont précédés ; et la plupart même sui vent des voies si opposées à la vérité, qu’ils s’en éloignent à mesure qu’ils avancent. Mais le pis est que cela les rend même incapables de la voir quand on la leur montre, et que se remplissant la tête de ce qu’on a inventé de faux, depuis qu’on raisonne dans le monde, cette étrange espèce de tra dition leur ôte tellement le goût de la vérité, que c’est pour eux un langage inconnu ; et que tout ce qui n’est pas con forme aux impressions qu’ils ont reçues, n’en saurait plus faire sur leur esprit.

Il y en a véritablement quelques-uns parmi ceux-là qui sont dans des voies droites, et peu sujettes à l’erreur. Ceux-ci ne se paient pas de discours, comme les autres ; et parce qu’ils cherchent plus à connaître qu’à parler, et qu’ils ne donnent leur créance qu’à ce qu’ils voient clairement, il leur arrive rarement de se tromper. Mais c’est aussi ce qui renferme leurs connaissances dans des bornes bien étroites, n’y ayant que très peu de choses qui soient capables d’une évidence pa reille à celles qu’ils demandent. Tout ce qui n’est point dé monstration ne leur est rien ; et sans songer qu’il y en a de plus d’une sorte, ils s’établissent juges souverains de toutes choses sur un petit nombre de principes qu’ils ont, et ne veulent rien croire que ce qu’on leur prouve à leur manière,