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Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/254

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été mis entre les mains des hommes, el qui, par le peu de soin qu’ils en ont eu, se serait brisé et mis en pièces. Ils ont en quelque façon senti leur perte ; et recueillant ce qui leur restait du débris, ils en ont composé, comme ils ont pu, ce qu’ils appellent l’honnêteté. Mais quelle différence ! que de vides ! que de disproportions ! ce n’est qu’une misérable copie de ce divin original ; et malheur à celui qui s’en contente, et qui ne voit pas que ce n’est que son ouvrage, c’est-à-dire rien. Cependant cette ditTérence, tout iniinie qu’elle est en soi, est imperceptible à ceux dont je parle ; et l’état où ils se sont élevés, étant en effet quelque chose d’assez grand, de la manière dont ils le regardent, ils s’en remplissent entière ment, ils roulent et subsistent là-dessus jusqu’à la mort ; et rien n’est plus difficile que de leur faire compter pour rien ce qui les met si fort au-dessus du reste des hommes, et de les porter à se reconnaître méchants : ce qui est le commen cement et la perfection du christianisme.

Voilà ce qui donne lieu de croire que peu de gens auraient profité du livre de M. Pascal, quand même il aurait été dans l’état où il le pouvait mettre. Qu’ils y songent pourtant les uns et les autres ; la chose en vaut bien la peine ; et que ceux qui après avoir accommodé la religion chrétienne à leur cœur, en accomplissent tous les devoirs si à leur aise, aussi bien que ceux qui se sont déterminés à ne rien croire, appren nent une fois, qu’en matière de religion, c’est le comble du malheur que d’avoir pris son parti, si ce n’est le bon, et qu’il n’y en a qu’un qui le soit. Quelque lumière, quelque hauteur d’intelligence qu’on ait, rien n’est si aisé que de s’y tromper, surtout quand on le veut ; et de quelque bonne foi apparente qu’on se flatte, il est certain qu’on se repentira d’avoir mal choisi, et qu’on s’en repentira éternellement. Car enfin on ne fait point que les choses soient à force de se les persuader ; et quelque fondement qu’on trouve dans ses opinions, l’impor tance est qu’elles soient véritables ; et qu’à ce triste moment qui décidera de notre état pour jamais, à l’ouverture de ce grand rideau qui nous découvrira pleinement la vérité, si nous trouvons plus que nous ne savions, nous ne trouvions pas au moins le contraire de ce que nous avions cru.