Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/278

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s’agit de démontrer les vérités de la religion, il ne peut qu’ouvrir la voie au sentiment, qui seul est vif et durable, qui seul enveloppe l’âme tout entière. À Dieu il est réservé d’incliner le cœur des hommes, et cette connaissance du cœur suffit à faire le chrétien L’œuvre de l’homme est d’éclai rer les esprits afin d’écarter les obstacles qui s’opposeraient au sentiment ; elle dissipe les objections des athées qui détourne raient leurs âmes de Dieu, elle les prépare à recevoir la grâce et à en profiter, si Dieu veut leur envoyer la grâce.

Section V. La Justice et la Raison des Effets.

Relativement à la justice qui est dans la société humaine, à la valeur de la naissance et des dignités, il y a une « grada tion » d’opinion qui va du peuple aux demi-habiles, des demi habiles aux habiles, jusqu’aux dévots et aux chrétiens, et cette gradation est un « renversement perpétuel du pour au contre». Cette réflexion, présentée par Pascal sous différentes formes, nous permet d’ordonner les fragments relatifs à l’ordre poli tique, en fixant la portée de chacun par le rang qu’il occupe dans cette hiérarchie d’opinions.

Tout d’abord le peuple croit qu’il est juste d’honorer les grands et de leur obéir. Mais cette prétendue justice ne supporte pas l’examen. Quelques traits d’une rare énergie, où l’ironie se mêle à l’indignation et à la pitié, suffisent à faire éclater la confusion et la contradiction des coutumes sur lesquelles reposent les institutions humaines. Faut-il conclure, avec Montaigne, qu’il n’y a pas de justice du tout ? Non point : la négation de la justice soulèverait les hommes contre l’ordre établi, le désir d’une justice meilleure déchaînerait les guerres civiles, qui sont le plus grand des maux. À la critique des demi-habiles qui font voir l’injustice de ce que le peuple appelle justice, s’oppose la sagesse supérieure des habiles, qui, comprenant que la paix est le souverain bien et que la force est seule capable d’assurer la paix, reconnaissent que la force devient juste par là. La coutume, qui paraît d’abord ridicule et vaine, est raisonnable et bienfaisante quand elle s’appuie sur la force : car elle en fait accepter volontairement et doucement l’empire, qui est nécessaire pour