Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/86

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avec Dieu. Si donc nous nous reportons aux œuvres dont les Pensées portent le souvenir, ce n’est pas seule ment pour y chercher la genèse de telle ou telle doctrine, l’explication de tel ou tel fragment, c’est pour comprendre et reconstituer le milieu intellectuel où s’est développé, où s’est fécondé l’esprit même de Pascal.

Les Essais de Montaigne ont été, suivant le mot heureux de M. Stapfer, la Bible profane de Pascal. Leur influence est profonde, et elle est constante. Pascal con duit Montaigne à Port-Royal non pas, comme il fait pour Epictète, en ennemi qu’il faut abattre et immoler à la gloire du Christ, mais comme un auxiliaire, parfois même comme un guide. Les emprunts, ou les allusions, à Montaigne — en si grand nombre qu’une édition des Pensées est en même temps une réédition partielle des Essais — ne sont point des souvenirs persistants de la période mon daine, et comme un réveil du Pascal d’autrefois. Pascal a sans doute, de son point de vue, dépassé Montaigne et Méré ; à aucun moment il ne s’est détaché de l’un ou de l’autre. Montaigne n’a pas cessé de vivre en lui, se trans formant et grandissant avec lui ; il est devenu l’humanité au sens le plus étendu, au sens le plus profond. Ce n’est pas un siècle que Pascal demande à Montaigne de lui faire connaître, mais tous les siècles, les coutumes des peuples et les maximes des sages, les anecdotes de l’histoire et les aventures de la philosophie ; ce n’est pas un pays, mais tous les pays : avec lui il visite les cannibales que l’on lit venir à Rouen devant le roi Charles IX, il découvre les habitants du Mexico et leurs merveilleuses légendes. Autant il participe à cette curiosité universelle, autant il goûte la sagacité merveilleuse dont Montaigne l’accompagne : il a relevé les erreurs des diplomates ou des capitaines, comme les contradictions des légistes ou des savants ; il a