Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/93

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aveu terrible : « Comme il n’est pas impertinent ni étrange de se laisser rechercher et courtiser un temps de son ami avant que de l’épouser et recevoir avec crainte et révérence les commandements de son mari, ainsi ne sera-t-il que bon de jardiner et s’égayer un peu par les jardins et faubourgs plaisants des beaux discours philosophiques, puis avec modestie et révérence pour monter et entrer en la haute et sainte cité de la Théologie chrétienne (2e Ver. chap. iii). » Pour Charron philosophie et religion correspondent à deux états différents de l’esprit, qui s’excluent et qui se succèdent. Le philosophe n’est pas encore chrétien ; le chrétien n’est plus philosophe. Or le problème est d’être à la fois philosophe et chrétien. Il y a plus : ce n’est pas seulement entre la philosophie et le christianisme que Charron ne réussit à établir l’unité, c’est à l’intérieur de la philosophie. Il est tout à la fois disciple de du Vair et disciple de Montaigne ; mais, quand il s’attache à l’un, il oublie l’autre. De là un résultat singulier. Sa morale tout entière respire la confiance en l’humanité, l’attachement à la règle de nature, l’appel aux forces vives de la raison et de la volonté. Mais sa psychologie est aussi pessimiste que sa morale était optimiste, elle étale à plaisir les vices et les misères de l’homme, elle relève ses contradictions et ses défaillances, elle les multiplie par la variété des pays, des âges, des individus. Qu’un tel contraste ne soit pas sans s’expliquer, qu’il fournisse même un argument profond en faveur des doctrines qui lui étaient chères, Charron le savait sans doute ; mais cette vérité suprême demeure cachée dans son œuvre. Il a conservé la méthode scolastique, il a écrit une Somme, mettant bout à bout les affirmations comme si elles étaient du même ordre et comme si elles se démontraient de la