Aller au contenu

Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

même façon. Mais aussi comme il élargissait ses conceptions au souille de la Renaissance, comme il avait pénétré les aspects divers et même contradictoires de l’humanité, l’application d’une méthode uniforme à une matière hétérogène ne pouvait plus produire que désordre et confusion. Ces divisions perpétuelles attristent et ennuient, dit Pascal, c’est qu’en même temps elles obscurcissent et brouillent ; c’est à la lettre que dans Charron les arbres cachent la forêt. Ou plus exactement Charron juxtapose deux images différentes de l’humanité vues sous deux angles différents et comme par chacun de nos deux yeux ; Pascal seul était capable de ramener cette double vision à l’unité, en lui donnant du même coup le relief et la profondeur, en lui donnant la vie. Par Pascal Charron existe.

Il est donc vrai que l’héritier légitime de Montaigne ne peut être Charron ; c’est Méré.

L’humanité, que Montaigne étendait à travers la diversité des peuples et des siècles, semble se concentrer en ce qu’elle a de plus rare et de plus délicat pour devenir l’honnêteté de Méré. C’est encore la nature, sans contrainte et sans affectation, qui demeure absolument naturelle, et qui pourtant est poussée à son dernier degré de raffinement, qui « excelle en tout ce qui regarde les agréments et les bienséances de la vie ». Et c’est la joie, joie de jouir et plus encore déjuger, de s’approuver au fond de son cœur, dans la conscience intime de sa supériorité. Point de for mules, point de règles ; point de métier surtout. L’honnêteté s’adresse à l’homme tout entier ; elle atteint en lui la source profonde qui est le sentiment et le goût. Nul n’est séduisant comme l’honnête homme ; il a un instinct qui lui fait « connaître les sentiments et les pensées par des signes presque imperceptibles, » et sa pénétration lui per-