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Page:Œuvres de Blaise Pascal, XIII.djvu/19

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SECTION II.

ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison[1] ; elle[2] suspend les sens, elle les fait sentir ; elle a ses fous et ses sages ; et rien ne nous dépite davantage que de voir[3] qu’elle remplit ses[4] hôtes d’une[5] satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire[6]. Ils regardent les gens avec empire ; ils disputent avec hardiesse et confiance ; les autres, avec crainte et défiance ; et cette gaîté de visage leur donne souvent l’avantage dans l’opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de[7] faveur auprès des juges de même nature[8]. Elle ne peut rendre sages les fous ; mais elle les rend heureux, à l’envi de la raison qui ne peut[9] rendre ses amis que misérables, l’une les couvrant de gloire, l’autre de honte.

Qui dispense la réputation ? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ?[10]

  1. Dans l’Apologie de Raymond Sebond Montaigne nous fait « veoir combien nostre raison est flexible à toutes sortes d’images. » Cf. fr. 274.
  2. [Fait agir] les sens ; elle suspend [à son.]
  3. [Que ceux qui ne sont.]
  4. [Sectateurs.]
  5. [Joie.]
  6. Plaire, en surcharge.
  7. [Sympathie avec].
  8. [On s’aperçoit ordinairement].
  9. [Que les rendre.]
  10. Pascal avait écrit : [Quel pouvoir exerce-t-elle sur les âmes, sur les corps ! Combien de malades lui sont redevables de la santé, combien de sains de la maladie ! [Combien de maladies guéries, combien de santés