Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/114

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arrivent du sud et de l’aquilon, de l’aurore et du couchant, comme dans l’Apocalypse les élus arrivent à la ville de Jérusalem. Au bout de cinq à six ans, Benjamin Rathery est à la tête d’une belle fortune qu’il dépense, avec grands fracas de verres et de bouteilles, en déjeuners et en dîners ; toi, Machecourt, tu n’es plus porteur de contraintes ; je t’achète une charge de bailli. Ta femme est couverte de soie et de dentelles comme une sainte Reine ; ton aîné, qui est déjà enfant de chœur, entre au séminaire ; ton cadet, qui est malingreux et jaune comme un serin des Canaries, étudie la médecine ; je lui cède ma réputation et mes vieux clients, et je l’entretiens d’habits rouges. De ton puîné, nous faisons un robin. Ta fille aînée épouse un homme de plume. Nous marions la plus jeune à un gros bourgeois, et le lendemain de la noce nous mettons la machine au grenier.

— Oui, mais ta machine a un petit défaut, elle n’est pas à l’usage des honnêtes gens.

— Pourquoi cela ?

— Parce que.

— Mais enfin ?

— Parce que l’effet en est immoral.

— Pourrais-tu me prouver cela par or et par donc ?

— Va te promener avec tes or et tes donc. Toi qui es un savant, tu raisonnes avec ton esprit ; moi qui suis un pauvre porteur de contraintes, je sens avec ma conscience. Je soutiens que tout homme qui acquiert sa fortune par d’autres moyens que par son travail et ses talents n’en est pas légitime possesseur.

— C’est très bien ce que tu dis là, Machecourt, s’écria mon oncle ; tu as parfaitement raison. La conscience, c’est la meilleure de toutes les logiques et le charlatanisme, sous quelque forme qu’il se déguise, est toujours une escroquerie. Eh bien ! brisons notre machine et n’en parlons plus.