Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/129

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ne leur donne que des indigestions. Or, je me flatte, sergent, que je boirais bien autant que vous, je crois même que je boirais mieux ; mais, pour manger, je ne suis auprès de vous qu’une mazette. Vous tiendriez tête à Arthus en personne ; je crois même que sur un dindon vous seriez dans le cas de lui rendre une aile.

— C’est, répondit le sergent, que je mange pour hier, aujourd’hui et demain.

— Permettez-moi donc de vous servir pour après-demain cette dernière tranche de jambon.

— Grand merci, dit le sergent, il y a une fin à tout.

— Eh bien ! le Créateur qui a fait les soldats pour passer subitement de l’extrême abondance à l’extrême disette, leur a donné, comme au chameau, deux estomacs ; leur second estomac, c’est leur sac. Mettez dans votre sac ce jambon dont Machecourt ni moi ne voulons plus.

— Non, dit le soldat, je n’ai pas besoin de faire de magasins, moi ; les vivres viennent toujours assez ; permettez-moi d’offrir ce jambon à Fontenoy ; nous sommes dans l’habitude de tout partager ensemble, les jours de noce comme les jours de jeûne.

— Vous avez là, en effet, un chien qui mérite qu’on prenne soin de lui, dit mon oncle ; voudriez-vous me le vendre ?

— Monsieur ! fit le sergent jetant rapidement la main sur son caniche…

— Pardon, brave homme, pardon, désolé de vous avoir offensé ; ce que j’en disais, c’était seulement pour parler ; je sais bien que proposer au pauvre de vendre son chien, c’est proposer à une mère de vendre son enfant.

— Tu ne me feras pas croire, dit mon grand-père, qu’on puisse