Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/149

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allait très bien ; il allait trop bien même au gré de ma grand’mère, qui montait et descendait sur son oreiller comme un volant sur une raquette. Mais, à quelque distance de l’endroit où le chemin de Moulot se sépare de la route de la Chapelle pour se rendre à son humble destination, elle s’aperçut que l’allure de son âne s’assoupissait comme un jet de métal ardent qui s’épaissit et devient plus lent à mesure qu’il s’éloigne du fourneau ; son grelot, qui jusque-là avait jeté un drelin dindin si fier, si énergiquement accentué, ne poussait plus que des soupirs entrecoupés, pareils à une voix qui agonise. Ma grand’mère retourna la tête pour en référer à Benjamin ; mais celui-ci avait disparu, fondu comme une boule de cire, escamoté, perdu comme un moucheron dans l’espace ; personne ne pouvait lui en donner des nouvelles. Vous devez vous faire une idée du dépit que fit éprouver à ma grand’mère la disparition subite de Benjamin. Elle se dit qu’il ne méritait pas la peine qu’on prenait pour son bonheur, que son insouciance était incurable, que toujours il croupirait, que c’était un marais aux eaux duquel on ne pouvait donner un cours. Elle eut un moment envie de l’abandonner à sa destinée, et même de ne plus lui plisser ses chemises, mais son caractère de reine l’emporta, elle avait commencé, il fallait qu’elle finît. Elle jura de retrouver Benjamin, et de le conduire chez M. Minxit, dût-elle l’attacher à la queue de son âne. C’est par cette fermeté de résolution qu’on mène à leur fin les grandes entreprises.

Un petit paysan, qui gardait ses moutons à l’embranchement