Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/190

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Un seul, le père Ballivet, avait osé lui remettre une cédule en main propre et parlant à sa personne, mais il y avait risqué sa vie. Honneur donc au généreux père Ballivet, huissier royal, qui exploitait par tout le monde et deux lieues au-delà, ainsi que le disaient les mauvais plaisants du pays, pour ternir la gloire de ce grand huissier.

Voici du reste comment il s’y était pris. Il avait empaqueté sa cédule dans une demi-douzaine d’enveloppes perfidement cachetées et l’avait présentée à M. de Cambyse comme un paquet venant du château de Vilaine. Tandis que le marquis démaillotait l’exploit, il s’était esquivé sans bruit, avait gagné la grande porte et avait enfourché son cheval qu’il avait attaché à un arbre à quelque distance du château. Quand le marquis eut connaissance de ce que contenait le paquet, furieux d’avoir été la dupe d’un huissier, il ordonna à ses domestiques de courir sur ses traces ; mais le père Ballivet était hors de leur portée et se moquait d’eux par un geste que je ne puis reproduire ici.

Du reste, M. de Cambyse ne se faisait guère plus de scrupule de décharger son fusil sur un paysan que sur un renard. Il en avait déjà détérioré deux ou trois qu’on appelait dans le pays les estropiés de M. de Cambyse, et plusieurs habitants quasi notables de Clamecy avaient été victimes de ses très mauvaises plaisanteries. Quoiqu’il ne fût pas encore bien vieux, il y avait déjà dans la vie de cet honorable seigneur assez de sanglantes espiègleries pour faire deux forçats à perpétuité ; mais sa famille était bien à la cour : la protection de ses nobles cousins le mettait à l’abri de toute poursuite. Et au fait, chacun prend son plaisir où il le trouve : Le bon roi Louis XV, tandis qu’il prenait à Versailles de si doux et de si joyeux ébats, tandis qu’il donnait des fêtes aux gentilshommes de sa cour, ne voulait pas que ses gentilshommes de province s’ennuyassent dans leurs terres, et il eût été très contrarié que les paysans à faire crier sous le bâton, ou les bourgeois à désoler leur