Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/192

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fournir. Deux mille ans ont passé sur la cendre des Gracques et dix-sept cent cinquante ans sur le gibet de Jésus-Christ, et c’est toujours le même peuple. Il a quelquefois des lubies de courage ; il jette le feu par la bouche et les naseaux ; mais la servitude est son état normal et il y revient toujours, comme un serin apprivoisé revient toujours à sa cage. Vous voyez passer le torrent gonflé par un soudain orage et vous le prenez pour un fleuve. Vous repassez le lendemain et vous ne retrouvez plus qu’un honteux filet d’eau qui se cache sous les herbes de ses rives, et qui n’a laissé de son passage que quelques pailles aux branches des arbustes. Il est fort quand il veut l’être ; mais prenez-y garde, sa force ne dure qu’un instant : ceux qui s’appuient sur lui bâtissent leur maison sur la surface glacée d’un lac.

En ce moment, un homme en riche costume de chasse traversait la route, suivi de chiens aboyants et d’une longue traînée de valets. Fata pâlit.

— M. de Cambyse ! dit-il à mon oncle ; et il salua profondément ; mais Benjamin resta droit et couvert comme un grand d’Espagne.

Or, rien n’était plus propre à choquer le terrible marquis que l’outrecuidance de ce vilain qui lui refusait un banal hommage sur la lisière de ses domaines et en présence de son château. C’était d’ailleurs d’un très mauvais exemple et qui pouvait devenir contagieux.

— Manant, dit-il à mon oncle avec son air de gentilhomme, pourquoi ne me salues-tu pas ?

— Toi-même, répondit mon oncle en le toisant du haut en bas de son œil gris, pourquoi ne m’as-tu pas salué ?

— Ne sais-tu pas que je suis le marquis de Cambyse, seigneur de tout ce pays ?