Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/221

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y avait alors dans son salon quelque portrait de ses aïeux, son front doit encore en être rouge de honte. Cette petite place où il m’a embrassé, je voudrais qu’après ma mort on la défalquât de mon individu et qu’on la transférât au Panthéon… quand le peuple aura un Panthéon, bien entendu.

» Mais, marquis, vous n’en êtes pas quitte pour cela ; avant trois jours, le baillage saura votre aventure ; je veux même la faire raconter à la postérité par Millot-Rataut, notre faiseur de Noëls ; il faut qu’il me fabrique à ce sujet une demi-main d’alexandrins. Pour ces vingt francs, c’est de l’argent trouvé ; je ne veux pas qu’ils passent par les mains de ma chère sœur. Demain, c’est dimanche ; demain donc, je donne aux amis, avec cet argent, un goûter comme je ne leur en ai jamais donné, un goûter qui sera payé comptant. Il est bon de leur apprendre comment un homme d’esprit peut se venger sans avoir recours à son épée.

La chose ainsi arrangée, mon oncle se mit à écrire au marquis pour lui annoncer le retour de son argent. Je serais charmé de pouvoir donner à nos lecteurs un nouvel échantillon du style épistolaire de mon oncle ; malheureusement sa lettre ne se trouve pas parmi les documents historiques que mon grand-père nous a conservés ; peut-être mon oncle, le marchand de tabac, en aura-t-il fait un cornet.

Tandis que Benjamin était en train d’écrire, son marchand d’habits rouges entra avec une pancarte à la main.

— Qu’est-ce cela ? fit Benjamin, déposant sa plume sur la table ; encore votre mémoire, monsieur Bonteint, toujours votre éternel mémoire. Eh ! mon Dieu ! voilà tant de fois que vous me le présentez, que je le sais par cœur : six aunes d’écarlate au grand large, n’est-ce pas, avec dix aunes de doublure et trois garnitures de boutons ciselés ?

— C’est cela, monsieur Rathery, c’est bien cela ; total : cent cinquante livres,