Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/279

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Le déjeuner ne se ressentait nullement du lieu où il se célébrait. Machecourt seul était un peu triste, car l’arrangement pris avec Bonteint par les amis de mon oncle lui semblait une plaisanterie.

— Allons donc, Machecourt ! s’écria Benjamin, ton verre est toujours dans ta main plein ou vide ; est-ce moi qui suis, ou toi qui es prisonnier ? À propos, messieurs, savez-vous que Machecourt a failli hier commettre une bonne action : il voulait vendre sa bonne vigne de Choulot, pour payer ma rançon à Bonteint.

— C’est magnifique ! s’écria Page.

— C’est succulent ! dit Arthus.

— C’est un trait comme j’en vois dans la morale en action, poursuivit Guillerand.

— Messieurs, interrompit Rapin, il faut honorer la vertu partout où l’on a le bonheur de la posséder ; je propose donc que, toutes les fois que Machecourt sera à table avec nous, il lui soit décerné un fauteuil.

— Adopté ! s’écrièrent ensemble tous les convives, et à la santé de Machecourt !

— Ma foi, dit mon oncle, je ne sais pas pourquoi on a si peur de la prison. Ce chapon n’est-il pas aussi tendre et ce bordeaux aussi parfumé de ce côté-ci que de l’autre côté du guichet ?

— Oui, dit Guillerand, tant qu’il y a de l’herbe le long du mur où elle est attachée, la chèvre ne sent pas son lien : mais, quand la place est nette, elle se tourmente et cherche à le rompre.

— Aller de l’herbe qui croît dans la vallée, répondit mon oncle, à celle qui croît sur la montagne, voilà la liberté de la chèvre ; mais la liberté de l’homme, c’est de ne faire que ce qui lui convient.