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Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/286

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qui se dresse ; ils vous prennent votre argent pour peu qu’ils en aient besoin, et votre vie pour peu qu’elle les gêne. Vous vous applaudissez, bonhomme, d’avoir sauvé un innocent de la hache, mais vous en avez fait périr vingt par le poignard. C’est dix-neuf meurtres qui restent à votre compte.

» Et maintenant je reviens à la prison. La prison, pour qu’elle inspire une salutaire terreur, doit être un lieu de gêne et de misère. Cependant, il y a en France quinze millions d’hommes qui sont plus misérables dans leurs maisons que le prisonnier sous vos verrous. Trop heureux l’homme des champs, s’il connaissait son bonheur ! dit le poète. Cela est bon dans une églogue. L’homme des champs, c’est le chardon de la montagne ; il ne passe pas un ardent rayon de soleil qui ne le brûle, pas un souffle de bise qui ne le morde, pas une averse qu’il ne l’essuie ; il travaille depuis l’angélus du matin jusqu’à celui du soir ; il a un vieux père, et il ne peut adoucir pour lui les rigueurs de la vieillesse ; il a une belle femme, et il ne peut lui donner que des haillons ; il a des enfants, marmaille affamée qui demande incessamment du pain, et souvent il n’y en a pas une miette dans la huche. Le prisonnier, au contraire, lui, est chaudement vêtu, il est suffisamment nourri ; avant d’avoir un morceau de pain à se mettre sous la dent, il n’est pas obligé de le gagner. Il rit, il chante, il joue, il dort tant qu’il veut sur sa paille, et il est encore l’objet de la pitié publique. Des personnes charitables s’organisent en société pour lui rendre sa prison moins rude, et elles font si bien qu’au lieu d’une peine elles lui en font une récompense. De belles dames font mijoter son pot et lui trempent sa soupe ; elles le moralisent avec du pain blanc et de la viande. Assurément, à la liberté besogneuse des champs ou de l’atelier, cet homme préférera la captivité insouciante et pleine de bon temps de la prison. La prison, ce doit être l’enfer de la cité : je voudrais qu’elle s’élevât au milieu de la place publique, sombre et vêtue de noir