Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/349

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pages pleines de mensonges et de faussetés comme celles d’une gazette. Le fait est que je n’ai jamais connu ni mon père, ni ma mère, et il n’est pas bien démontré que je sois né de l’union d’un homme et d’une femme ; mais je ne me suis jamais plaint de l’abandon où on m’avait laissé ; cela ne m’a pas empêché de faire mon chemin, et si j’avais eu une famille, je ne serais peut-être pas allé si loin : une famille vous gêne, vous contrecarre de mille façons ; il faut que vous obéissiez à ses idées et non aux vôtres ; vous n’êtes pas libre de suivre votre vocation, et dans la voie où elle vous jette, souvent dès le premier pas vous vous trouvez embourbé.

— Il fut bon époux, dit mon oncle.

— Ma foi ! je n’en sais trop rien, dit M. Minxit ; j’ai épousé ma femme sans l’aimer, et je ne l’ai jamais beaucoup aimée ; mais elle a fait avec moi toutes ses volontés : quand elle voulait une robe, elle s’en achetait une ; quand un domestique lui déplaisait, elle le renvoyait. Si à ce compte on est bon époux, tant mieux ; mais je saurai bientôt ce que Dieu en pense.

— Il a été bon citoyen, fit mon oncle : vous avez été témoins du zèle avec lequel il a travaillé à répandre parmi le peuple des idées de réforme et de liberté.

— Tu peux dire cela maintenant sans me compromettre.

— Je ne vous dirai pas qu’il fut bon ami…

— Mais alors, que diras-tu donc ? fit M. Minxit.

— Un peu de patience, dit Benjamin. Il a su, par son intelligence, s’attacher les faveurs de la fortune.

— Pas précisément par mon intelligence, dit M. Minxit, quoique la mienne valût bien celle d’un autre ; j’ai profité de la crédulité des hommes : il faut avoir plutôt de l’audace que de l’intelligence pour cela.