Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/58

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Claude que tu es, t’abstiens-tu de tuer une puce qui t’a mordu, par la raison que tu es plus fort qu’elle ? »

Et pour connaître et pour prouver ce sentiment poétique que j’ai dit être le fond de sa nature, est-il nécessaire de l’avoir rencontré marchant a pas lents sur les dépouilles de l’automne ? ne le voyons-nous pas, ne l’entendons-nous pas en personne dans sa prose vivante ? ne nous donne-t-il pas la preuve irrécusable de la sensibilité et de la suavité de son ame, quand il nous dit avec tant de mélancolie :

« Et cette plume de pamphlétaire qu’il faut toujours tenir comme un glaive, croyez-vous qu’elle ne soit pas lourde à porter, qu’elle ne fatigue point les doigts qui la conduisent ? En ce moment je suis là, accoudé sur la fenêtre de mon atelier, contemplant cette belle vallée de la Nièvre qui s’emplit d’ombre, et ressemble, avec sa forêt de peupliers, à un champ garni de gigantesques épis verts ; le soleil se couche derrière moi : ses derniers rayons allument, comme un brasier, les ardoises du moulin ; ils illuminent la cime vacillante des peupliers, et bordent de franges roses les petits nuages qui passent à l’horizon. Dans le lointain, les pâles fumées de Pont-Saint-Ours ondoient et s’en vont, emportées par le vent, comme une procession de blancs fantômes qui défile. La Nièvre, cette laborieuse Naïade que les tanneurs forcent du matin au soir à laver leurs peaux, a fini sa journée ; elle se promène libre et tranquille entre ses roseaux, et clapote doucement sous les racines des saules. À cette heure si belle et si douce, je sens à ma vieille lyre de poète une corde qui se réveille ; j’aimerais à décrire ces riants tableaux, et peut-être, du fond de cette encre immonde,