Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/59

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amènerais-je quelque paillette d’or au bec de ma plume. Mais, hélas ! quand je voudrais peindre et chanter, il faut que j’écrive, que je martèle des phrases agressives contre mes adversaires. Ce faisceau de flèches ébauchées qui est là sur ma table, il faut que je le garnisse de pointes. Quand mon âme s’emplit, comme ce vallon, de paix et de silence, il faut que j’y tienne la colère éveillée ; quand je voudrais pleurer peut-être, il faut que je rie !…

« Derrière cette verdure étrangère et cette traînée bleuâtre de collines que je ne connais pas, sont les premiers arbres qui m’ont abrité, les premières collines que j’ai foulées ; c’est de ce côté que s’envolent mes pensées, semblables à des pigeons qui, lâchés sur une terre lointaine, s’enfuient à tire-d’aile vers le colombier natal. C’est là qu’est ma mère, mon frère, mes amis, tous ceux que j’aime et dont je suis aimé. Quelle destinée m’a donc éloigné de ces lieux ! Pourquoi ne suis-je point là avec ma femme et mes enfants ! Pourquoi ma vie ne s’y écoule-t-elle pas doucement et sans bruit comme l’eau claire d’un ruisseau ! Hélas ! ce même soleil qui s’est levé sur mon berceau, il ne se couchera donc point sur ma tombe ! Maudits soient ces imprudents persécuteurs qui m’ont appris que j’avais une arme redoutable, en me forçant à me défendre ! Loup féroce, c’est pourtant en léchant leur sang que cet appétit du sang m’est venu ! Et que m’importe à moi que ce journal prêche et que cet évêque fasse le journaliste ! Cruel pamphlet, laisse-moi un instant avec mes rêves ! Ces oiseaux aux plumes blanches et roses, tu les effarouches des éclats stridents de ta plaisanterie. Laisse-moi passer et repasser la main sur leurs ailes ; peut-être, hélas ! ne reviendront-ils plus de sitôt, et d’ailleurs, ces messieurs sont-ils si pressés qu’on les fustige ?

« Ô mes amis ! que faites-vous en ce moment ? Tandis que je suis là pensant à vous et entouré de vos chères images, vous