Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/62

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quelques jours avant ceux de ma génération ; mais je meurs dans cet âge où finit la jeunesse, et après lequel la vie n’est plus qu’une longue décadence. Je rendrai à Dieu mes facultés telles qu’il me les a données : mon imagination vole toujours d’un vol libre dans l’espace, et le temps n’a point blanchi les plumes de son aile. Je n’ai perdu que quelques-uns de ceux que j’aimais, et quand je vais, à la Toussaint, visiter le cimetière où dorment nos pauvres ancêtres, à peine trouvé-je dans le gazon quelques débris de noms qui me sont chers. Je suis semblable à l’arbre qu’on coupe ayant encore des fruits entre le tronc dont il est poussé et les jeunes rejetons qui poussent. Belle et pâle automne ! tu ne m’as point vu, cette année, dans tes chemins bordés d’herbes flétries ; je n’ai vu ton doux soleil et je n’ai senti tes brises parfumées que de ma fenêtre ; mais nous nous en irons ensemble ! Je veux mourir avec la dernière feuille des peupliers, avec la dernière fleur de la prairie, avec le dernier chant des oiseaux, enfin avec tout ce qui est doux, avec tout ce qui est beau dans l’année. Il faut que ce soit la première bise qui me dise : Il faut partir !… Ne vaut-il pas mieux mourir à temps que de vieillir ? »

Rien d’aussi touchant dans Millevoye, rien de plus passionné dans Rousseau ! Eh bien ! le pamphlétaire a-t-il assez de cœur, assez d’ame, de sentiment et d’onction, de délicatesse et de douceur, de poésie et d’amour ? Est-il bien tel que je l’ai dit ? Oui, tous les trésors de sa belle ame resplendissent, rayonnent à chaque ligne, à chaque mot de cette admirable page ! Oui, l’homme, tout l’homme, le citoyen, le père, le fils, apparaît, se révèle, se manifeste, vrai comme la