Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/71

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commune. Cela ressemble au Mançanarès qui a une trentaine d’arches et qui n’a à enjamber qu’un filet d’eau Quand on n’a qu’un billet de deux lignes à écrire, on ne le met pas sur une feuille de papier grand-raisin. Vous-même, monsieur Guillerand, prendriez-vous trente aunes de tresse

noire pour vous faire un ruban de queue ?

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Nourri dans la guerre, poursuivit Cornélius : image désagréable, parce qu’elle est tirée de la vie animale, et qui manque en outre d’exactitude. On dirait bien d’un athlète : nourri à la guerre, au pugilat, parce que les athlètes sont soumis à un régime particulier conforme à leur profession ; mais un soldat, que lui donne-t-on à manger pour l’habituer aux horreurs du carnage ? Cet hémistiche a, du reste, le tort de signifier la même chose que le premier. Pourquoi Abner, au lieu de nous faire une pétarade de quatre vers, n’a-t-il pas dit tout simplement : Moi qui suis un soldat ? L’antithèse eût été plus frappante. Si vous séparez par une périphrase ou deux les objets que vous comparez entr’eux, ils sont trop loin l’un de l’autre, le contraste ne s’aperçoit plus, ou du moins il devient beaucoup moins saisissant. Tout le monde sait bien qu’un soldat est un homme qui fait la guerre, et que la guerre c’est le carnage.

« Pourquoi alors tout cet attirail ridicule de paroles ? écrire trois fois je suis un soldat, ou le dire trois fois avec des expressions différentes, ne serait-ce pas la même chose ? Racine ressemble ici à un maladroit garçon de café auquel je demande un verre de rhum et qui me le verse dans une carafe d’eau. La périphrase, chez nos poètes, c’est, la plupart du temps, un valet qui passe par le grenier pour aller à la cave. Pour que la périphrase soit de bon aloi, il faut qu’elle montre l’objet sous une image nouvelle et pittoresque, qu’elle le fasse saillir d’entre les mots qui l’encadrent, qu’elle l’illumine comme un éclair ;