Page:Œuvres de C. Tillier - II.djvu/10

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bien que les conseilleurs ne soient pas les payeurs, c’est moi, Claude Tillier, qui vous le rembourserais.

J’aime le printemps avec ses buissons blancs et roses ; j’aime l’été avec ses champs fauves encadrés d’une éclatante verdure ; j’aime aussi l’hiver avec ses arbres noirs qui ressemblent, avec leur tête couverte de frimas, à des hommes de loi coiffés d’une perruque poudrée ; mais j’aime surtout ces jours tièdes et humides de l’automne, quand le soleil est chauve et dépoli, qu’un nuage floconneux, pareil à un blanc duvet qui vole, remplit tout l’espace qui est entre le ciel et la terre ; que vous voyez les arbres, les montagnes, les hameaux, gris et vaporeux comme s’ils étaient reflétés par une glace terne, et que la campagne ressemble à un paysage élyséen ; quand le vert des bois se teint de brun et de ronge, que les ruisseaux charrient de longues traînées de feuilles jaunes qui s’en vont processionnellement comme un convoi ; quand enfin la nature fiévreuse et phtisique sourit encore, mais de ce sourire malade qui reste quelquefois sur les lèvres d’un trépassé. Or donc, partez de Clamecy par un de ces délicieux beaux jours. Je vous dis cela parce qu’alors la flotte a cessé et que l’Yonne est débarrassée de ces grandes piles de bois grisâtres qui donnent à sa vallée l’odeur de moisi et l’aspect prosaïque d’un chantier.

Jusqu’à la Maladrerie, vieil hôpital de lépreux aboli et dont il ne reste plus que la chapelle, le chemin s’en va prosaïquement entre une haie tondue et un champ de luzerne ; il s’en va sans songer à rien, sans regarder à droite ni à gauche, et tout ennuyé de la corvée que les ponts et chaussées lui font faire ; mais, arrivé en face de la Maladrerie, il se réveille tout-à-coup de sa somnolence, tourne brusquement à gauche et mord dans la croupe d’une de ces hautes montagnes dont la chaîne, après avoir traversé tout le département de la Nièvre, s’enfonce peu à peu et finit par disparaître tout-à-fait dans les graviers du département de l’Yonne.