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À M. DUFÊTRE.

traitement, songez-vous que les malheureux que je viens de dire en paieraient leur part ?

Le gouvernement a calculé votre traitement sur vos besoins. Puisque vous nous demandez un supplément de traitement, dites-nous donc quels sont les besoins compatibles avec la vie sacerdotale, qu’avec vos dix mille francs vous ne puissiez satisfaire ?

N’alléguez point que cet argent vous servira à faire des aumônes : les malheureux ne sont, hélas ! point rares ici, et le conseil général saurait, aussi bien que vous, en trouver.

Je vois encore une raison pour que vous renonciez à votre indemnité ; la voici : vos tournées ne vous mettent point en frais, et sont, au contraire, pour vous, une occasion d’économie. Pendant que vous vous bercez dans votre carrosse sur la molle poussière des routes, l’autoclave épiscopal cesse de bouillir, et les bons vins ne baissent point dans vos tonnes : c’est toujours autant d’épargné sur vos dix mille francs. Il faut vivre en route, direz-vous. L’objection vaudrait quelque chose, si elle se rapportait à un simple bourgeois. Mais vous, vous ne vivez point en route : d’un bond de vos chevaux vous franchissez les hôtelleries ; quand vous avez déjeûné chez l’abbé Jean, vous allez dîner chez l’abbé Philippe, et ces déjeûners ainsi que ces dîners sont des noces. Ce n’est véritablement qu’à vos curés que vos tournées sont à charge, et, s’il faut tout dire, elles les ruinent. Huit jours avant votre arrivée, toute la paroisse est en chasse ou en pêche, et tout le presbytère en cuisine. Le pauvre curé auquel est advenu le dispendieux honneur de vous recevoir, dévore dans un repas un quartier de ses appointements ; au lieu d’économiser pour nourrir de vieux parents accablés d’infirmités, ou, s’il n’a point de parents, pour venir en aide aux pauvres de la paroisse, il est obligé d’économiser pour vous donner à dîner. Allez ! au presbytère sur lequel vous vous êtes abattu, longtemps encore après votre départ on se ressent de votre passage ; le curé porte un tricorne râpé, la gouvernante va à la grand’messe avec une robe fanée, et les pauvres raccommodent