Page:Œuvres de C. Tillier - IV.djvu/10

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tombai dans un profond assoupissement, pendant lequel je rêvai qu’on me flagellait avec des verges trempées dans de l’eau bénite, et je ne m’éveillai qu’à dix pages de là, lorsque le prêtre disait ces mots : « A ces causes, après en avoir délibéré, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit. » Ce protocole gascon me piqua l’oreille. Voilà, dis-je à mon voisin, un tonsuré bien péremptoire ! Il serait empereur de la Chine ou czar de toutes les Russies, qu’il ne parlerait pas sur un autre Ion. Jésus-Christ ne disait point à ses disciples : « Je vous ai ordonné et je vous ordonne… » Il est vrai que Jésus n’est que le fils de Dieu, et que M. Dufètre est le fils d’un chaudronnier ; chose, du reste, dont je le féliciterais bien davantage encore, si ce monseigneur qu’il a ajouté à son nom et ces honneurs de cardinal qu’il se fait rendre, ne juraient un peu avec son origine plébéculienne. Mais voyons ce qu’il a ordonné et ce qu’il ordonne…

— Pourvu, me répondit, mon voisin, que ce ne soit pas de lire tous les jours son Mandement !

Mais M. Dufétre n’est point cruel. Malgré ses Nous avons ordonné et ordonnons, c’est le meilleur homme du monde. Ce n’est point, lui, un jeûneur, un xérophage ; il ne veut point que son diocèse dépérisse entre ses mains ; il lui faut, à ses processions, des vierges joufflues et des fabriciens le moins jaunes possibles. M. Dufétre, donc, nous permet l’usage des œufs et du lait durant tout le carême, et des jours gras de la semaine il ne retranche que le jeudi, ce pauvre jeudi qui m’apportait, quand j’étais maître d’école, de si douces heures, et avec lequel j’ai foulé dans les bois tant d’herbe qui ne repoussera plus, hélas ! sous mes pieds. C’est avec une vive douleur que je vois ce vieux cl infortuné camarade tombé dans la disgrâce de son évêque et obligé de manger des légumes secs jusqu’au Vendredi-Saint. Si encore je pouvais adoucir la rigueur de son jeûne ! Mais, hélas ! condamné moi-même à un régime barbare par mon médecin, je ne saurais lui faire manger qu’un fade bouilli, et de temps en temps quelque maigre