Page:Œuvres de Chapelle et de Bachaumont.djvu/62

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Pour n’y passer qu’une journée
Qui s’y sent par je ne sais quoi

Arrêté pour plus d’une année.

Un nombre infini de personnes y ont meme passé le reste de leur vie, sans en pouvoir sortir. Le fabuleux palais d’Armide ne fut jamais si redoutable. Nous y trouvâmes M. de Saint-Luc12 arrêté depuis six mois, Nort depuis quatre années, et d’Ortis depuis six semaines, et ce fut lui qui nous instruisit de toutes ces choses, et qui voulut absolument nous faire connoitre les enchanteresses de ce lieu. Il pria donc toutes les belles de la ville à souper, et tout ce qui se passa dans ce magnifique repas nous fit bien connoître que nous étions dans un pays enchanté. En vérité, ces dames ont tant de beauté, qu’elles nous surprirent dans leur premier abord, et tant d’esprit, qu’elles nous gagnèrent dès la première conversation. Il est impossible de les voir et de conserver sa liberté, et c’est la destinée de tous ceux qui passent en ce lieu-là, s’ils ont la permission d’en sortir, d’y laisser au moins leur cœur pour otage d’un prompt retour.

Ainsi donc qu’avoient fait les autres,
Il fallut y laisser les nôtres.


12. François d’Espinay, marquis de Saint-Luc, comte d’Estellan, connu sous ce dernier nom du vivant du maréchal de Saint-Luc, son père, étoit un homme de beaucoup d’esprit, et dont il reste quelques vers encore estimés. (Saint-Marc.)