Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome XI.djvu/361

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bonnes raisons de nous en défier toujours, puisqu’une fois ils ont pu nous induire en erreur.

Polyandre. Je sais bien que les sens nous trompent quelquefois quand ils souffrent, ainsi un malade croit que tous les mets sont amers ; quand ils sont trop éloignés de l’objet, ainsi les étoiles ne nous paraissent jamais aussi grandes qu’elles sont réellement ; en général, quand ils n’agissent pas librement selon leur nature. Mais toutes leurs erreurs sont faciles à connoître, et n’empêchent pas que je ne sois persuadé que je vous vois, que nous nous promenons dans un jardin, que le soleil luit, en un mot, que tout ce que mes sens m’offrent habituellement, est vrai.

Eudoxe. Puisqu’il ne me suffit pas de vous dire que les sens nous trompent dans certains cas où vous vous en apercevez bien, pour vous faire craindre d’être trompé par eux dans d’autres occasions où vous ne le savez pas, j’irai plus loin, et vous demanderai si vous n’avez jamais vu un homme mélancolique de l’espèce de ceux qui se croient des vases remplis d’eau, ou qui pensent avoir une partie quelconque du corps d’une grandeur démesurée ; ils jureroient qu’ils voient cela et le touchent comme ils l’imaginent. Il est vrai toutefois que celui-là s’indigneroit auquel on viendrait dire qu’il n’a pas plus de raison qu’eux de croire son opinion certaine, puisque tous deux s’appuient