Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome XI.djvu/376

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je marche, que je me nourris, que je sens, que je pense. Il m’a été nécessaire, pour me considérer simplement tel que je me sais être, de rejeter toutes ces parties ou tous ces membres qui constituent la machine humaine, c’est-à-dire il a fallu que je me considérasse sans bras, sans jambes, sans tête, eu un mot sans corps. Or, il est vrai que ce qui en moi doute, n’est pas ce que nous disons être notre corps ; donc il est vrai aussi que moi, en tant que je doute, je ne me nourris pas, je ne marche pas ; car aucune de ces deux choses ne peut se faire sans le corps. Il y a plus ; je ne peux pas même affirmer que moi, en tant que je doute, je puisse sentir. Comme en effet les pieds servent pour marcher, ainsi les yeux pour voir, et les oreilles pour entendre. Mais comme je n’ai aucun de ces organes, parce que je n’ai pas de corps, je ne puis pas dire que je sente. Outre cela, j’ai autrefois en rêve cru sentir beaucoup de choses que je ne sentois pas réellement, et comme j’ai résolu de n’admettre ici que ce qui est tellement vrai que je n’en puisse douter, je ne puis dire que je sois quelque chose de sentant, c’est-à-dire qui voie des yeux et entende des oreilles. Il pourroit se faire en effet que je crusse sentir, quoiqu’il ne se passât aucune de ces choses.

Eudoxe. Je ne peux m’empècher de vous arrêter ici, non pour vous détourner du chemin, mais