Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/223

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Sur moi, poëte obscur, l’autre jour, en passant,
Vous laissâtes tomber un mot compatissant.
Un mot, voilà tout… mais, quand vous fûtes passée,
Cette parole d’or, oh ! je l’ai ramassée,
J’ai caché dans mon sein ma relique, et, depuis,
Je la porte les jours, je la baise les nuits.
Si ma reconnaissance avec délire éclate,
Si mon baiser brutal mord la main qui me flatte,
Madame, pardonnez, c’est que voilà deux ans
(Et deux ans à porter tout seul sont bien pesants !)
Qu’aux tourments de mon cœur nul cœur ne s’associe,
Et j’avais oublié comment on remercie.
J’ai supporté deux ans le mépris et la faim
Sans mêler de blasphème à ma plainte sans fin.
Je disais, résigné : Lorsque Dieu fait un homme,
De ses bonheurs futurs il lui compte la somme :
« Prends, lui dit-il, et marche ! » et moi, dès le départ,
Prodigue voyageur, j’ai dévoré ma part.

Enfant, j’ai vu passer dans ma vague mémoire
Des prêtres qui chantaient sur une bière noire ;
À travers les sanglots, de moment en moments,
Un nom cher m’arrivait… mais ce souvenir ment ;
Car de l’école à peine eus-je franchi les grilles,
Que je tombai joyeux aux bras de deux familles ;