Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/260

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É L E C T R E.

1215Eſt-ce de moi, cruel, qu’il faut vous défier,
D’une sœur qui voudrait tout vous ſacrifier ?
Et quelle autre amitié fut jamais ſi parfaite ?

É L E C T R E.

Je n’ai craint que l’ardeur d’une joie indiſcrète.
Diſſimulez des ſoins quoique pour moi ſi doux :
1220Ma sœur, à me cacher j’ai ſouffert plus que vous.
D’ailleurs, juſqu’à ce jour je m’ignorais moi-même.
Palamède, pour moi rempli d’un zèle extrême,
Pour conſerver des jours à ſa garde commis,
M’élevait à Samos ſous le nom de ſon fils.
1225Le ſien eſt mort, ma sœur ; la colère céleſte
A fait périr l’ami le plus chéri d’Oreſte ;
Et peut-être, ſans vous, moins ſensible à vos maux,
Envierais-je le ſort qu’il trouva dans les flots.

É L E C T R E.

Se peut-il qu’en regrets votre cœur ſe conſume ?
1230Ah ! Seigneur, laiſſez-moi jouir ſans amertume
Du plaiſir de revoir un frère tant aimé.
Quel entretien pour moi ! Que mon cœur eſt charmé !
J’oublie, en vous voyant, qu’ailleurs peut-être on m’aime ;
J’oublie auprès de vous juſques à l’amant même.
1235Surmontez, comme moi, ce penchant trop flatteur,
Qui ſemble malgré vous entraîner votre cœur.