Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/65

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Je ſens trop, par les pleurs que je verſe aujourd’hui,
Quelle eſt l’horreur du coup qui va tomber ſur lui.
Tu ſais que pour le roi ſon amour eſt extrême.

I S M È N E.

Il ne vous reſte plus que d’aimer le roi même.
Qu’entends-je ? De vos pleurs importunant les dieux,
Vos plaintes chaque jour font retentir ces lieux ;
Et quand le ciel prononce au gré de votre envie,
Vous n’oſez plus pourſuivre une odieuſe vie !
Songez, puiſque les dieux vous ouvrent leurs ſecrets,
Qu’ils vous chargent par-là du ſoin de leurs décrets.
Et qu’auriez-vous donc fait, ſi, trompant votre attente,
L’oracle eût demandé la tête d’Idamante,
Puiſque vous balancez…

É R I X È N E.

Puiſque vous balancez…À quoi bon ces tranſports ?
Je conçois bien, ſans toi, de plus nobles efforts.
Malgré tout mon amour, mon devoir eſt le même :
Mais peut-on ſans trembler opprimer ce qu’on aime ?
Un je ne ſais quel ſoin me ſaisit malgré moi,
Et mon propre courroux redouble mon effroi.
Ne crains rien cependant ; mais laiſſe ſans contrainte
À des cœurs malheureux le ſecours de la plainte.
Je n’ai point ſuccombé pour avoir combattu,
Et tes raiſons ici ne font point ma vertu…
Égéſippe en ces lieux ſe fait longtemps attendre.