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T r a g é d i e.

Lorſqu’à des conjurés ſes pareils s’aſſocient,
C’eſt par des trahiſons que tous ſe juſtifient.
Aujourd’hui le Sénat doit s’aſſembler ici ;
Ce n’eſt pas cependant mon plus cruel ſouci :
Je crains, je l’avouerai, les fureurs de Fulvie,
Et je crains encor plus ton amour pour Tullie,
Fille d’un ennemi dangereux & jaloux,
De Cicéron enfin, l’objet de ton courroux.
Eh comment dans un cœur qu’un ſi grand ſoin entraîne,
Peux-tu concilier tant d’amour & de haine ?
L’amour pour tes pareils auroit-il des appas ?

C A T I L I N A.

Ah ! ſi je le reſſens, je n’y ſuccombe pas.
Qu’un grand cœur ſoit épris d’une amoureuſe flâme,
C’eſt l’ouvrage des ſens, non le foible de l’ame ;
Mais, dès que par la gloire il peut être excité,
Cette ardeur n’a ſur lui qu’un pouvoir limité.
C’eſt ainſi que le mien eſt épris de Tullie :
Ses graces, ſa beauté, ſa fière modeſtie,
Tout m’en plaît, Lentulus ; mais cette paſſion
Eſt moins amour en moi qu’excès d’ambition.
Malgré tous les objets dont ſon orgueil ſe pare,
Tullie eſt ce que Rome eut jamais de plus rare ;
Je vois à ſon aſpect tout un peuple enchanté,
Et c’eſt de tant d’attraits le ſeul qui m’ait tenté :

Tome II.
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