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C a t i l i n a.

Sans la foule des cœurs qui s’empreſſe pour elle,
Tullie à mes regards n’eût point paru ſi belle ;
Mais je n’ai pû ſouffrir que quelque audacieux
Vînt m’enlever un bien qu’on croit ſi précieux.
Enfin, je l’ai conquis, &, ſans cette victoire,
Je croirois aujourd’hui que tout manque à ma gloire.
Ce n’eſt pas que l’amour en ſoit le ſeul objet ;
Loin que de mes deſſeins il ſuſpende l’effet,
Cette flamme où tu crois que tout mon cœur s’applique,
Eſt un fruit de ma haine & de ma politique.
Si je rends Cicéron favorable à mes feux,
Rien ne peut déſormais s’oppoſer à mes vœux :
Je tiendrai ſous mes loix & la fille & le père,
Et j’y verrai bien-tôt la République entière.
Je ſais que ce Conſul me hait au fond du cœur,
Sans oſer d’un refus inſulter ma faveur ;
Il craint en moi le peuple, & garde le ſilence :
Mais, tandis qu’entre nous Rome tient la balance,
J’ai cru devoir toûjours pourſuivre avec éclat
Un hymen qui le perd dans l’eſprit du Sénat.
Au temple de Tellus voilà ce qui m’appelle :
Probus, qu’à Cicéron je veux rendre infidèle,
M’y ſert à ménager des traités captieux,
Où, ſans rien terminer, je les trompe tous deux.
Mais, loin de confier nos deſſeins au grand Prêtre,
De ſes propres ſecrets je ſuis déjà le maître ;