Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PLAINTE


Helas ! je meurs en presence de celle
Dont les beaux yeux avancent mon trespas !
Je puis m’aider, et je ne le fay pas ;
Je veux guarir, et mon mal je lui cele.

De chaud cristal elle arrouse sa face,
Voyant ma peine, et s’enquiert de ma mort ;
Mais j’aime mieux mourir sans reconfort,
Qu’en m’allegeant confesser mon audace.

Las ! je pensois, pource qu’elle est divine,
Que mes desirs luy seroient evidans,
Et que son œil veist dehors et dedans,
Et de mon mal découvrist l’origine.

Un feu cruel me devore et saccage,
Il boit mon sang, il desseiche mes os.
Las ! je l’estouffe et le veux tenir clos,
Mais sa fureur me paroist au visage.

Monstrons-le donc : ma dame est pitoyable.
Mais, ô mon cœur ! garde de t’abuser,
Car ce seroit de ma mort l’accuser,
Bien qu’elle en soit innocemment coupable.

Non, il n’est point de gesnes si cruelles,
De feux si chauds, ny de si griefs tourmens,
Dans les enfers pleins de gemissemens,
Pour les pechez des ames criminelles.

Si la douleur y peut faire ses plaintes,
Et qu’on s’y lasche aux regrets et aux cris,
Consolez-vous (miserables espris),
Vos passions ne sont que douleurs paintes.

O Cieux cruels ! si j’ay fait quelque offence,
Dressant au ciel mon vol precipité,
Punissez-moy, je l’ay bien merité,
Mais à ma faute égalez ma souffrance.

O durs rochers ! ô deserts solitaires !
Où mes ennuis je soulois évanter,
Ce n’est plus vous qui m’orrez lamenter,
Mes seuls pensers seront mes secretaires.

Car mon ardeur est d’une telle sorte,
Qu’en la souffrant je crains de soupirer :
Comme insensible on me voit endurer ;
Ma peine est vive, et ma parole est morte.

Ce seul espoir adoucist mon angoisse,
Qu’un feu retraint qui cuit si vivement