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Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/315

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XCI


J’attends en transissant ce qui doit advenir
D’une secrette trame, à mon dam commençée,
Pour voir à me resoudre, et par force forçée
Une amour infinie en moy faire finir.

Mais pourra-t-elle bien perdre le souvenir
De la flamme autresfois si vive en sa pensée,
De sa foy, de sa dextre en la mienne enlacée ?
Ceste crainte en mon cœur ne se peut maintenir.

Non, il n’en sera rien : une recherche telle
Servira de trophée à son ame fidelle,
Qu’honneurs, thresors, grandeurs, ne pourront esmouvoir.

Ah ! pourquoy ce penser si soudain prend-il cesse,
Cedant à la frayeur qui derechef me presse,
Et me fait tout à clair mes miseres prévoir ?


XCII


Si la loy des amours saintement nous assemble,
Avec un seul esprit nous faisant respirer,
L’outrage du malheur se peut-il endurer,
Qui si cruellement nous arrache d’ensemble ?

Je ne vous voy jamais, mon cœur, que je ne tremble,
Apprehendant l’effort qui nous doit separer :
Et n’ose bien souvent vos regards desirer,
Tant l’eclipse qui suit tenebreuse me semble !

Toutesfois quand les corps n’ont moyen de se voir,
L’ame pourtant n’est serve et peut, à son vouloir,
Voleter invisible où la guident ses flames.

Chassons donc nostre angoisse, ô seul bien de mes yeux !
Et, vivans desormais comme l’on vit aux cieux,
Sans plus penser aux corps faisons l’amour des ames.


XCIII


Quel martire assez fort, quelle gesne inconnuë,
Est égale au tourment d’un cœur bien allumé,
Qui, se trouvant prochain de l’objet mieux aimé,
Se deffend par raison la parole et la veuë ?

Le desir, qui voit lors sa vigueur retenuë,
Par le contraire effort devient plus enflamé ;
De tranchantes douleurs l’esprit est entamé,
L’ame soupire et crie, en servage tenuë.

C’est un chaos nouveau, meslant confusément