Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/316

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Avec mille glaçons le plus chaud element,
Et le trop grand respect avec l’impatience.

Ô nompareille force en nompareil esmoy !
Allez vous-en mon tout, esloignez-vous de moy :
Mon tourment sera moindre en plus lointaine absence.


XCIV


Si l’outrageuse loy d’un injuste hymené
De vous m’oste la part moins parfaite et moins belle,
Part qui peut se secher comme une fleur nouvelle,
Pour la donner à un plus que moy fortuné ;

Deesse, à qui je fus en naissant destiné,
Ou plus que le malheur vous me serez cruelle,
Ou vous me laisserez la partie immortelle,
L’ame, à qui mes escrits tant de gloire ont donné.

J’aimoy vostre beauté passagere et muable
Comme un ombre de l’autre éternelle et durable,
Qui sur l’aile d’Amour dans les cieux m’élevoit.

Ceste-cy sera mienne et l’autre[1] aura la fainte ;
Aussi bien mon amour pure, éternelle et sainte,
D’un salaire mortel payer ne se pouvoit[2].


ODE


De mes ans la fleur se desteint ;
J’ay l’œil cave et palle le teint,
Ma prunelle est toute ébloüie :
De gris-blanc ma teste se peint,
Et n’ay plus si bonne l’oüie.

Ma vigueur peu à peu se fond ;
Maint sillon replisse mon front,
Le sang ne bout plus dans mes veines :
Comme un trait mes beaux jours s’en vont,
Me laissant foible entre les peines.

Adieu chansons, adieu discours,
Adieu nuicts que j’appeloy jours
En tant de liesses passées,
Mon cœur, où logeoient les amours,
N’est ouvert qu’aux tristes pensées.

  1. Le mari.
  2. Imité d’un sonnet italien qui commence par ces vers :

    Poi che la parte men perfetta e bella,
    Ch’ al tramontar d’un di perde il suo fiore,
    Mi toglie il cielo e fanne altrui signore,
    Ch’ ebbe più amica e graciosa stella, etc.